Bientôt le 21 juillet ! On s’en réjouit un peu moins cette année sans doute parce que cette fois, pas de « pont », la fête nationale « tombe » un samedi …et pas mieux l’an prochain !
Triste mais réaliste cette constatation que pour tant de citoyens, cette date n’ait guère plus d’autre signification que celle d’être un jour férié.
Certes, tout n’est pas perdu. Le 21 juillet, ce sont quand même nombre d’activités festives mises en place par les communes, des jeux, un bal, un feu d’artifice.
Dans la discrétion des matins, des gerbes seront déposées devant les monuments aux morts.
A Bruxelles, il y aura le traditionnel défilé militaire que j’ai eu l’honneur d’organiser, huit années consécutives.
L’une de ces années, nous fûmes gratifiés d’une drache nationale particulièrement généreuse. Dans les jours qui suivirent, je reçu nombre de lettres d’insultes : quoi ? J’avais laissé défiler les Anciens Combattants dans la pluie et dans le vent. Honteux,
scandaleux, inadmissible …
Il est vrai que j’ai toujours souhaité les mettre à l’honneur et qu’ils ont toujours souhaité participer au défilé. C’était tout simplement évident, légitime, de nos deux points de vue.
Vu cet incident et la volée de bois vert qui s’en suivit, j’ai discuté avec leurs représentants et à la demande de ceux-ci, il fut décidé qu’en considération de leur grand âge et des caprices bien connus de notre météo, les Anciens ne défileraient plus mais seraient bien évidemment présents, dans une tribune couverte qui leur serait dédiée.
Ainsi fut fait. ….et nouvelle volée de bois vert ! Quoi ? Vous interdisez aux Anciens Combattants de défiler …Honteux, scandaleux, inadmissible …
Il arrive que les caprices de l’opinion publique s’avèrent aussi difficiles à maitriser que ceux du temps météorologique !
Toutefois, des Anciens Combattants défilent encore, ce sont ceux que l’on appelle aujourd’hui les Vétérans. J’ai voulu que soient également reconnus celles et ceux qui ont participé aux différentes missions de la paix pour lesquelles notre armée s’est engagée sur des terrains d’opération à l’étranger. Ils sont allés au Kosovo, en Afghanistan, au Liban et ailleurs. Je leur ai donné un statut, je n’ai malheureusement pas eu le temps de leur accorder les droits que leur engagement mérite.
A l’aune du temps qui passe et des rumeurs qui me sont parvenues, je ne cache pas mon pessimisme à cet égard et plus encore.
Bien que contraires à la déclaration gouvernementale, des velléités de suppression de l’Institut des Vétérans se font jour. Certes, ses compétences actuelles seraient réparties entre diverses administrations mais cela priverait les bénéficiaires – majoritairement très âgés - de leur interlocuteur historique et sa politique mémorielle en serait gravement compromise, voire vouée à la disparition.
On peut y voir, j’en conviens, dans l’esprit de certains, un souci d’économie d’échelle au niveau administratif, honorable en ces temps de rigueur budgétaire, mais elle sera insignifiante. A contrario, les conséquences seront tristement dommageables pour les Anciens et pour la politique mémorielle.
En ces temps proches des commémorations de 14-18 et de la lutte contre la résurgence de l’extrême-droite, ce dessein me semble très malvenu.
L’Histoire qui s’écrivait par les hagiographes s’écrit aujourd’hui sous la pression des mémoires collectives. On cherche parfois à compenser le déracinement du social et l’angoisse de l’avenir par la valorisation du passé – on le constate par les succès des manifestations folkloriques – mais on fait aussi une sorte de tri collectif, on « zappe », on ne souhaite plus se sentir concerné par les pages les plus sombres et les plus anciennes de notre Histoire, on décide d’ignorer qu’elles ont été les plus glorieuses, les plus courageuses.
A contrario, je pense que cette exemplarité doit pouvoir servir aux jeunes générations.
Je crois qu’elle peut aussi être appréhendée par celles et ceux qui ont nouvellement acquis notre nationalité. Ce n’est pas renier ses origines que d’apprendre ce qui a fait du pays d’accueil la démocratie qu’il a sollicitée. Connaître et comprendre l’Histoire pour fêter ensemble ses victoires, c’est en faire au présent, une histoire transgénérationnelle et multiculturelle, garante d’un avenir commun possible et solidaire.
Je sais que d’aucuns considèrent que la mémoire est dépassée et inutile et lui nient tout intérêt sociétal. N’en restent que quelques scories administratives que les années effilocheront naturellement. Cela suffit à leur indifférence et suffira à leur bonne conscience.
Ce point de vue n’est pas le mien. Il est ma préoccupation.
Je crois que parmi nos repères sociaux, il y a celui de la mémoire civique, la prise de conscience des droits dont nous jouissons aujourd’hui, le souvenir de ceux qui les ont acquis ou défendu, comment et à quel prix.
Décider de l’ignorer serait plus qu’une injustice, un outrage, plus qu’une erreur, une faute.
Ce 21 juillet, dans le Parc de Bruxelles, haut lieu de notre révolution, il y aura des jeux, des clowns, des ballons et de la barbe à papa., quelques vieux messieurs très décorés, un peu perdus et des amoureux, des enfants en débandades, des cris de joie et de petits chiens apeurés, il y aura la liberté que sa banalisation a rendue légère et inconsciente.
Au devoir de mémoire il n’est pas absurde de proclamer le droit à l’insouciance.
C’est aussi celui que je souhaite à tous en cette veille de Fête nationale.
Et beaucoup de soleil en plus !
André Flahaut
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