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André Flahaut

André Flahaut

Ministre d'État, Ministre de la Fédération Wallonie-Bruxelles, Président honoraire du Parlement


Discours à l’occasion de la cérémonie de la remise des diplômes du Centre Européen de Recherches Internationales et Stratégiques (CERIS)

Publié par le Blog d'André Flahaut sur 4 Juin 2013, 09:04am

Catégories : #Discours

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Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,

 

Vous m’avez invité en vue de vous donner mes vues au sujet de la politique extérieure de l’UE, de son poids dans le monde.... vaste sujet s’agissant d’un acteur encore mal défini de la politique extérieure mondiale. Mal défini car il est à la fois expression d’une unité commerciale et normative, celle de la Commission agissant sur mandat et au nom des Etats membres et, en même temps, expression de 28 Etats membres, disposant chacun de leur souveraineté en matière de politique extérieure et de défense.

 

Problématique aussi, car ce poids dépend largement du consensus entre Etats membres sur des questions de sécurité et de politique internationale au sujet desquels il est difficile de définir une vision commune.

Quels sont les priorités de l’action commune ? Quels sont nos objectifs stratégiques? Quels sont nos partenaires stratégiques naturels, au-delà bien sûr des Etats-Unis ?  ....

 

Il règne ici, à Bruxelles, au sein de la galaxie européenne, des institutions, des organes de recherche, des think tanks une certaine idée du poids de l’Union hors de ses frontières.

 

Or je dois vous dire, en tant qu’ancien Ministre de la Défense, en tant que Président de la Chambre fédérale belge des représentants, lieu où se rejoignent les préoccupations des élus, notamment en matière européenne, mais aussi lieu de dialogue et de rencontre avec mes homologues du monde entier; qu’à travers cette diplomatie parlementaire, il m’arrive de m’interroger sur ce que je qualifierais être une illusion eurocentrique,  traduction malheureuse parfois de cette priorité que nous accordons tous journellement à notre projet d’intégration européenne. Bien sûr ce projet règne en maître dans ces couloirs feutrés, mais il nous masque aussi les tumultes du monde extérieur, qui n’attend pas les décisions ou les absences de décision de l’Europe pour avancer....

 

De plus , si l’on veut comprendre la vision que nos partenaires stratégiques peuvent avoir de notre projet, nous ne pouvons faire l’impasse sur la réalité fondatrice de l’Europe et de ses Nations, dont le respect s’impose pour que le projet européen aboutisse.

 

L’Europe, c’est en effet avant-tout, au-delà de la réconciliation entre des peuples qui se sont fait la guerre durant des siècles, le triomphe premier de l’idée démocratique.

 

C’est en effet ce territoire exigu, prolongement de l’immense continent eurasiatique, où les peuples ont petit à petit, puis à un rythme accéléré, arraché leur liberté, leur droit de participer à la gestion de la chose publique aux monarques et aux féodalités. C’est ici, en Europe que sont nés la démocratie représentative et le respect des minorités, que le monde est sorti, enfin, des dogmes et des coutumes aveugles, des préjugés de toute sorte pour légiférer et appliquer une loi acceptée de tous et applicable à tous.

 

Je sais qu’en exprimant ces évidences, je ne risque pas de troubler les ambitions d’un projet fédéral auquel nous sommes tous attachés et qui, comme l’avançait Hugo à la sortie de la guerre franco-prussienne, devrait trouver son aboutissement dans une Europe unie où les peuples se seraient une fois pour toutes rassemblés autour d’un projet commun.

 

Mais pour que ce projet réussisse pleinement, il exige de conjuguer démocratie nationale et démocratie européenne!

 

Et c’est bien là que gît l’écueil qui pourrait bien briser notre ambition.

 

Car, que voyons-nous?

 

Partout le recul du projet original de l’Union, qui était, qui est aussi de nature essentiellement socio- économique, qui offrait à nos concitoyens un modèle différent, respectueux des l’initiative individuelle et du dynamisme de l’économie de marché, mais aussi des besoins sociaux, de la nécessité de réguler l’avidité et le profit à l’avantage de tous. Or, permettez à un homme de gauche, au fait des situations réelles, de vous faire part d’une préoccupation majeure.

 

C’est qu’aujourd’hui,  partout le grand pacte social de l’après guerre, celui qui nous a apporté paix sociale, progrès et développement pendant cinquante ans est brutalement remis en cause. Tout ceci au nom de la compétitivité, des effets de la globalisation....

 

Mais lorsque l’on prétend représenter le premier ensemble économique et commercial du monde, il n’est pas acceptable de subir les caprices d’une l’économie libérale débridée.  On la maîtrise et on lui impose des règles de fonctionnement justes et respectueuses de l’ensemble des partenaires sociaux!

 

Les derniers chiffres d’Eurostat font état de plus de 10% de chômage pour l’€urozone, de 26% pour la Grèce, de 25% pour l’Espagne, de plus de 10% pour l’Irlande, Chypres, la Slovaquie et le Portugal, de prés de 10% en Italie et en France... et je ne mentionne pas les chiffres du chômage des jeunes qui atteignent prés de 25% pour l’€urozone avec des pics de 60% en Grèce. Toute une génération plongée dans le chômage et l’amertume! Sans compter la baisse scandaleuse des pensions, même minimales et des prestations sociales de tout ordre, qui ont fait brutalement resurgir le spectre de la pauvreté dans des régions entières de l’Union européenne.

 

A cela s’ajoute la perspective d’une récession couvrant pratiquement tous nos pays à l’exception, de plus en plus menacée il est vrai, de l’Allemagne; récession qui au Sud de l’Union est déjà une dépression dont on veut masquer le nom, mais qui commence à grignoter dangereusement les perspectives de croissance déjà limitées de la Pologne ou des pays baltes, considérés pourtant comme une exception jusqu’il y a peu.

 

Non, il est grand temps de déchirer le voile des illusions portant sur les effets de ces politiques et de voir la réalité de l’Union telle qu’elle se présente aux yeux de nos partenaires qui nous voient avec l’acuité d’un regard extérieur et sont de moins en moins tentés par notre projet.

 

Ce n’est pas un hasard en effet si l’ASEAN, après avoir fait de l’UE un modèle pour son intégration future, remet en cause cette approche pour lui préférer un développement “sui generis” ou que plus de 40% des Turcs ont maintenant une opinion négative de l’Union européenne, alors qu’ils étaient encore une large majorité à lui faire confiance il n’y a pas dix ans!

L’austérité aveugle, la volonté idéologique d’imposer aux peuples d’Europe une cure de libéralisme extrême, à contre-courant de leurs souhaits les plus profonds, tout cela mine le projet européen beaucoup plus sûrement que les déficits budgétaires dont des Diafoirus de l’Economie ont fait le péché suprême contre toute réalité économique.

 

Les Etats-Unis de Franklin Delano Roosevelt et d’Obama, le Royaume-Uni de l’immédiate avant-guerre, l’Europe du plan Marshall, le décollage économique des tigres d’Asie; toutes ces expériences économiques démontrent que le Keynesianisme et une protection bien ajustée des industries nationales sont les facteurs de réussite d’un vrai projet industriel social, en particulier dans la perspective de maintenir vivant un réseau dense et efficace de PMEs, les entreprises les plus exposées à la concurrence internationale débridée, car ne disposant pas des moyens de délocaliser leur production

.

Ce projet nécessite aussi pour réussir de contrôler les flux spéculatifs, toujours en quête de profit immédiat  mais qui ne sont pas porteurs d’investissements durables. Il faut désormais leur préférer les flux financiers destinés à nourrir l’économie réelle et à soutenir une vraie politique industrielle.

 

Or, d’une part l’Union n’a toujours pas mis sur pied une politique industrielle à l’échelle de ce continent et, d’autre part, nous n’avons guère progressé dans la régulation des activités financières.  Où en sommes-nous des leçons à tirer de la crise de 2008, de l’effet, par trop prévisible de la dérégulation sauvage des activités spéculatives?

 

Certes Cette dérégulation a permis de mettre sur pied des groupes généralistes d’une ampleur inconnue jusqu’alors en Europe, mais tout à cet objectif quantitatif, la libéralisation sans frein de l’économie a entraîné la disparition de groupes bancaires publics et privés, efficaces et respectueux de l’épargne, dont la capacité de diriger celle-ci vers les PMEs et l’activité économique était réelle (Que l’on pense au Crédit agricole ancienne mouture, à la CGER, à d’autres caisses spécialisées, souvent de gestion mixte, qui irriguaient l’activité dans nos pays).

 

Cette approche purement financière de l’économie a aussi eu pour effet de mettre l’épargne privée à la disposition d’activités spéculatives à haut risque, celles des grandes institutions privées, qui, au nom même de la libre concurrence et de la lutte contre les situations de monopole auraient du être fractionnées sous l’autorité de la DG concurrence, alors que nous avons laissé se développer des entités “too big to fail” avec des conséquences que nous supportons encore aujourd’hui, les Etats ayant massivement dû intervenir pour sauver nos pays de la banqueroute générées par les banques privées et alourdir de ce fait leurs bilans budgétaires.

 

Nos concitoyens payent lourdement les effets de ces politiques et nos Etats sont obligés de divertir des moyens considérables pour sauver un secteur spéculatif mais malheureusement vital,

 

Et, cependant, l’Union n’a quasiment pris aucune mesure prudentielle sérieuse pour séparer à nouveau ce qui relève de la spéculation de l’épargne et de l’investissement dans l’économie réelle. Rien ne rappelle dans les mesures prises le bon sens du défunt Glass Steagal Act ou de la Commission Volker dont les conclusions ont permis aux USA d’imposer des règles sérieuses de protection des fonds des épargnants par les banques lorsque celles-ci engagent des activités de caractère spéculatif (en particulier les mesures dites de “proprietary trading” qui imposent aux entités financières d’utiliser leurs fonds propres pour ces activités). Mis à part la croissance obligatoire des fonds propres dans le cadre des mesures prônées par la BRI, avec pour résultat d’assécher un peu plus le crédit du fait des obligations que les accords dits de Bâle III fontt courir aux banques, rien n’est fait ni n’a été fait pour mettre fin au modèle de la banque généraliste qui nous a fait tant de mal.

 

Bien sûr les interventions indirectes et massives de la BCE en faveur des Etats en situation de banqueroute, la mise sur pieds de mécanismes de solidarité financière et la création d’une véritable supervision bancaire au sein de l’Eurozone nous engagent vers une union économique et monétaire qui, à terme, sera bénéfique et assurera à nos pays des mécanismes de croissance saine.

Il reste que ces mêmes politiques poussent actuellement nos Gouvernements à retrouver à toutes forces l’équilibre budgétaire et à réduire l’endettement d’une manière excessive, qui prive nos Etats (et donc aussi l’Union) de toute marge de manoeuvre.

 

Cet assèchement des moyens publics a lieu au moment même où le ralentissement économique (dont je rappelle qu’il est du à l’effondrement des bulles spéculatives, ici bancaires, là immobilières et partout par la croissance illimitée du crédit) a un impact maximal sur les banques, anxieuses de se recapitaliser pour faire face à la montée de leurs créances douteuses, sur les entreprises dont les carnets de commande et les investissements productifs baissent de manière alarmante, et donc, in fine, aussi sur les ménages que la chute de leurs revenus et la croissance du chômage privent de toute perspective de consommation. Nous sommes de ce fait entrés dans un cercle vicieux, qu’il faut absolument briser si l’on veut rendre à ce continent et à ce projet sa dynamique originelle.

 

Et nous revenons ici à ma remarque initiale, relative à la nature démocratique du projet, que le corsettage budgétaire imposé par le Conseil européen et exécuté par la Commission met en péril.

 

Il appartient en effet depuis toujours aux Parlements, et c’est là leur prérogative essentielle, de discuter et d’approuver ou d’improuver les projets budgétaires des Exécutifs. Comme c’est d’ailleurs le cas aussi de manière croissante, et je m’en réjouis, dans le rapport entre la Commission et le Parlement européen.

 

Or les nouvelles dispositions, Six Packs/ two packs/ semestre européen, toutes imposent aux Gouvernements de discuter de leurs dispositions budgétaires avant même de les avoir soumises à leurs Parlements. C’est là une situation inédite et dont l’impact sur le bon fonctionnement de nos démocraties ne saurait être sous-estimé. La question est d’autant plus sérieuse que les marges de manoeuvre des Autorités nationales sont déjà rognées par le jeu de la libre concurrence et de la compétitivité globale.

 

Dans une période de désarroi croissant des opinions publiques, qui se sentent trahies par le projet européen, je crois qu’il est temps de reposer ces questions éminemment politiques et qui portent sur la philosophie, sur l’essence même de notre projet européen, qui ne peut être coupé des peuples, confisqué par des élites trop sûres d’elles-mêmes. Faute de quoi, en effet, la tension entre la légitimité des Parlements nationaux, considérée comme primordiale par l’ensemble des peuples de ce continent, quel que soit l’intérêt qu’ils peuvent porter par ailleurs au Parlement européen, deviendrait dangereuse pour l’intégration entre nos Nations.

 

Déjà les opinions publiques frappées par les effets de l’austérité, surtout dans les pays du Sud, mais également en France, aux PaysBas, au Royame-Uni, se détournent de l’Union. le dernier sondage de l’institut Pew le démontre sans aucune ambiguïté.

 

Déjà nous voyons apparaître des partis aux vieux relents xénophobes et nationalistes, partis qui pourraient bien créer la surprise lors des prochaines élections européennes; déjà d’autres, même dans les pays les plus prospères, remettent en cause le choix de l’€ et proposent de revenir à la pluralité des devises dans un système proche de celui du fameux “serpent monétaire” qui a rapidement disparu une fois déchaîné le jeu spéculatif contre la livre....

 

Tout cela indique qu’il est temps de prendre des mesures assurant une véritable croissance au niveau européen et qu’il faut se poser la question du déficit démocratique de notre construction.

 

A sujet de la croissance, il existe nombre d’économistes, y compris des prix Nobels, qui protestent depuis de nombreuses années devant les mesures adoptées et qui ont annoncé le désastre qui se déroule sous nos yeux, de trimestre en trimestre, malgré les invocations de l’actuelle Commission, qui nous annonce tous les trimestres la sortie prochaine du tunnel.....

 

Ecoutons plutôt les Stiglitz et les Krugmann voire, plus près de nous, les Paul De Grauwe  et prenons en compte ces avis éclairés pour définir ensemble de nouvelles politiques plus solidaires et plus efficaces, qui assurent aussi au Sud de cette Union de retrouver la prospérité nécessaire à son succès. Ce n’est pas, ce ne peut pas être à travers les seules “dévaluations compétitives” c.à.d. en clair la chute brutale des niveaux de vie que l’on relancera les économies et que l’on retrouvera l’adhésion populaire nécessaire au succès du projet européen.

 

Quant au problème du déficit démocratique de l’Union, qui est celui du rapport entre la Commission, le Conseil, le PE et les Parlements nationaux, il ne pourra être résolu que par l’intégration de ces derniers très en amont dans le processus législatif propre à l’UE, en conjonction et en dialogue étroit avec le PE et les Autorités nationales, dans une approche renouvelée qui assure l’application effective du principe de subsidiarité à notre continent, seule remède à la montée des nationalismes!

 

Il est absurde en effet que la Commission puisse même songer à réglementer des questions aussi secondaires que la manière de cuire les pizzas ou de servir l’huile d’olive aux clients des restaurants de nos pays.... ce type de centralisation et de normalisation aveugle ne peut que provoquer un sentiment de rejet et doit donc disparaître.

 

Pour conclure, je dirais qu’Iil est évident que tant que nos pays seront confrontés à une crise économique et financière sans perspective d’amélioration durable, sans projets fédérateurs, l’Union sera dans l’incapacité de servir de modèle à nos partenaires extérieurs.

 

C’est la raison pour laquelle, en tant qu’homme de gauche, en tant qu’élu local, en tant que parlementaire il m’a paru important de vous faire part de mes préoccupations qui sont celles d’un démocrate et d’un européen convaincu. Il faut que nous retrouvions, après tant d’années de libéralisme exubérant le sens de la solidarité et de l’harmonie sociale qui ont fait le succès de l’Europe.

 

André Flahaut

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